Lorsque la Première Guerre Mondiale éclata, l’État Français était conscient qu’elle devait se montrer performante en matière d’armement et d’industrie de guerre. Seulement, cette guerre n’est pas gratuite. Même si son coût est difficile à évaluer, selon Alain Plessis, on l’estime à environ 140 milliards, ce qui représente 3,8 fois son PIB de 1913. Les dépenses publiques françaises, en franc-or, s’élèvent à 54 milliards en 1918 alors qu’elles étaient de 5 milliards en 1913. Les dépenses de la France, conséquentes, représentent approximativement 13 % des dépenses totales engagées par l’ensemble des pays en guerre. Pour surmonter ces dépenses énormes, l’État français, comme la plupart des gouvernements qui ont pris part au conflit, a eu recours à la création monétaire. Par exemple, l’émission de Bons du Trésor a été transformée en « Bons de Défense Nationale ». Le pays a aussi eu recours à l’endettement.

La France a aussi bien emprunté à sa population (à travers des campagnes d’affichage très présentes dans le quotidien des Français favorisant la souscription à des emprunts de guerre), qu’à des créditeurs étrangers, principalement les États-Unis. Pour être efficace, l’industrie française a subi une transformation radicale, une sorte de révolution industrielle pilotée par l’État. Les sommes générées par les différents recours de l’État cités précédemment ont été principalement investies pour faire fonctionner l’Économie de guerre. Dès le 20 septembre 1914, avant même qu’on ne se rende compte que la guerre pouvait se prolonger sur plusieurs années, Alexandre Millerand, ministre de la Guerre, a demandé aux industriels d’augmenter considérablement la production d’obus, de la passer de 10 000 à 100 000 par jour.





Mais, ayant laissé les rênes de l’Économie de guerre aux industries et aux militaires, l’État s’est fait dépasser par les industriels mais a a réussi, fin 1916 à récupérer le terrain perdu notamment grâce à la nomination d’Albert Thomas au poste de sous-secrétaire d’État à l’Artillerie, aux Munitions et à l’Équipement militaire en mai 1915 puis au poste de Ministre de l’Armement en décembre 1916.


La reconquête du terrain laissé aux industriels et militaires n’est cependant viable que si elle s’accompagne d’une mise en place progressive d’une politique industrielle systémique. Albert Thomas avait en effet pour mission de répondre à des demandes contradictoires. L’armée voulait plus de munitions et d’armes modernes. Pourtant, elle avait du mal à laisser partir du front les dizaines de milliers d’ouvriers nécessaires pour assembler ces armes dans les usines de guerre. D’un autre côté, les ouvriers, même s’ils étaient d’accord pour contribuer à l’effort de guerre, ne consentaient pas à faire tous les sacrifices et à renoncer à leur identité sociale.

En effet, ils pouvaient bloquer les usines par des grèves ou des protestations. Le ministre devait donc faire à les protéger, sans pour autant trop en faire pour ne pas offenser les soldats très vigilants aux privilèges accordés à ceux de l’arrière. Albert Thomas avait bien compris que pour être le plus efficace possible, il fallait que le système soit juste, basé sur l’égalité. Pour mettre en place les bases de cette économie « organisée » et « rationalisée » qui devaient permettre d’atteindre les objectifs fixés, il s’entoura d’un groupe d’experts comprenant des sociologues, un juriste et un médiéviste. Il dota son ministère d’une équipe d’inspecteurs et de contrôleurs toujours plus nombreuse qui lui permettait d’avoir une idée juste de la réalité et de faire appliquer rapidement ses directives.



Son pouvoir était d’autant plus important qu’il avait le budget le plus conséquent de tous les ministères. Le ministère de Thomas planifiait les productions, se chargeait de répartir les matières premières et s’assurait que l’État avance les fonds nécessaires aux industriels. Ces avances permirent notamment la construction d’usines neuves et le modelage d’une nouvelle géographie industrielle puisque le Nord et l’Est de la France étaient occupés. La haute vallée de la Loire et surtout Paris et sa banlieue accrurent considérablement leur capacité industrielle pendant la Grande Guerre. Le symbole en est sans doute l’usine Citroën du Quai de Javel à Paris, construite en 1915, « qui réunissait des milliers d’ouvrières, […] était une usine moderne avec crèche, pouponnière, chambre d’allaitement, réfectoire. Tout était grand, propre, spacieux et mécanisé. » (Laura Lee Downs).

En décembre 1916, l’industriel Louis Loucheur reprit les fonctions d’Albert Thomas en tant que sous-secrétaire d’État à l’Artillerie. Il seconda donc Albert Thomas et entreprit de mettre en place la « production totale », afin de satisfaire le besoin toujours croissant en artillerie lourd. Lorsque Thomas quitta le gouvernement, c’est Louis Loucheur qui repris le ministère de l’Armement, assurant ainsi la pérennité de ses projets.





Production annuelle des usines Renault (1914)

Obus


0

Voitures


1 484

Camions


174

Moteurs d'avions


0

Chars d'assaut


0

Superficie des usines


11.5ha

Effectifs (travailleurs)


6 300

Dont les femmes (en % des effectifs)


3.8%




Production annuelle des usines Renault (1918)


Obus


2 000 000

Voitures


553

Camions


1793

Moteurs d'avions


5 000

Chars d'assaut


750

Superficie des usines


34ha

Effectifs (travailleurs)


22 500

Dont les femmes (en % des effectifs)


31.6%